Accéder au contenu principal

Apprendre à désapprendre : le nouveau défi de l’intelligence artificielle

Par  Martin Van Waerebeke , Inria et Marco Lorenzi , Inria Vos données vous appartiennent. Du moins, c’est ce que prévoit la loi européenne sur la régulation des données (RGPD). D’une part, elle limite la collecte de vos données par les entreprises privées à ce que vous avez consenti. D’une autre, elle vous permet de demander l’effacement total des informations vous concernant des serveurs de cet acteur : il s’agit du droit à l’oubli. C’est ce second volet qui nous intéresse ici, et son applicabilité dans le monde moderne. Si supprimer quelques lignes d’une base de données n’a rien de compliqué, la tâche devient nettement plus périlleuse quand l’ intelligence artificielle (IA) entre en jeu. En effet, des modèles d’IA de plus en plus complexes, fondés sur des réseaux de neurones artificiels, sont déjà déployés par de nombreux acteurs privés. Ces modèles ont besoin d’apprendre à partir d’un maximum de données pour être performants. Ainsi, la présence d’informations vous concernant da

Deepfake, décryptage d’une arnaque

deepfake

Par Thomas Mannierre, Directeur EMEA Sud de BeyondTrust

L’IA a fait entrer les braquages dans une nouvelle dimension. Plus besoin d’une cagoule noire désormais. En améliorant les attaques d'ingénierie sociale modernes, l’IA a donné naissance à un autre type de menaces : les deepfakes. Bienvenue dans ce qui pourrait être un épisode de Black Mirror !

Le faux CFO de Hong Kong

En début d’année, une entreprise à Hong Kong s’est vue escroquée de 25,6 millions de dollars par un hacker utilisant l’IA et la technologie deepfake pour usurper l’identité d’un directeur financier. Si l'on en croit les rapports d’enquête, l'attaque a simulé un environnement de vidéoconférence complet et utilisé une fausse identité d'un important directeur financier de Hong Kong et d'autres participants à la réunion. La victime ciblée du département financier s'est d'abord méfiée d'un e-mail de phishing prétendant provenir du directeur financier. Cependant, la victime a rejoint une conférence Web au cours de laquelle les attaquants ont reproduit de manière convaincante la voix et l'apparence du directeur financier, et se sont fait passer pour d'autres participants en exploitant une intelligence artificielle (IA) avancée. La victime a ainsi été manipulée socialement par les participants à l'appel vidéo falsifié pour transférer 25,6 millions de dollars sur cinq comptes bancaires différents à Hong Kong.

Deepfake, la menace grandit 

Une attaque de type deepfake exploite la technologie pour créer de nouvelles identités, voler l’identité de personnes réelles ou se faire passer pour de vraies personnes, souvent dans le but d’accéder à des actifs, notamment des informations privilégiées ou de l’argent. Si cette pratique était autrefois observée dans la création d’images, de documents et de vidéos falsifiés, elle est désormais plus fréquemment utilisée pour créer des appels vidéo en temps réel, et même pour usurper l’identité de personnes dans des opérations de vishing élaborées. En 2022 déjà, 66 % des professionnels de la cybersécurité ont déclaré avoir vu des deepfakes exploités lors d’une cyberattaque. La plupart de ces attaques ont pris la forme de vidéos (58 %) plutôt que d’audio (42 %), ciblant les employés principalement par courrier électronique et messagerie mobile. 

Si les deepfakes sont créés à l’aide de diverses méthodes, l’IA porte ce phénomène à un tout autre niveau. Les applications deepfake peuvent utiliser des encodeurs automatiques pour transférer des images et des mouvements d’une image à une autre. Cela permet aux attaquants de créer facilement du contenu audio et vidéo hyperréaliste en temps réel. Des études récentes ont montré que les deepfakes sont de plus en plus difficiles à détecter pour les humains. Ces attaques gagnent en succès, tant en termes économiques que de notoriété.

Les conséquences d'une attaque deepfake

Les pertes financières

L'intelligence artificielle morphing et les menaces de deepfake contribuent à une augmentation générale de l'espionnage d'entreprise. Les attaques de phishing et de spear phishing par deepfake font partie des premières menaces connues utilisant l’IA. Une technique de plus en plus répandue de vol d’identité, connue sous le nom de « compromission d’email professionnel » (BEC), consiste pour un acteur malveillant à se faire passer pour un employé, un fournisseur ou une autre partie de confiance dans une communication par email pour inciter l’employé à envoyer des actifs précieux, comme de l’argent ou des informations privilégiées. Les deepfakes rendent ces attaques plus adaptées à leur cible et plus difficiles à détecter. Dans une note publique, le FBI a classé le BEC comme l’un des crimes en ligne les plus dommageables financièrement et a souligné le fait qu’il exploite la dépendance des organisations aux emails, et désormais aux appels vidéo, pour mener des affaires, tant personnelles que professionnelles. Le BEC a été responsable de 50,8 milliards de dollars de pertes entre octobre 2013 et décembre 2022, selon le Centre de plaintes pour la criminalité sur Internet (IC3) du FBI.

L’exposition ou vol d’actifs privilégiés

Les deepfakes peuvent également servir à obtenir l'authentification d'une identité non autorisée en utilisant une confirmation visuelle ou auditive. Si l'identité piratée fournit un accès privilégié, elle pourrait permettre à l'acteur malveillant de se déplacer latéralement et de prendre le contrôle ou la visibilité des données et systèmes sensibles. Les acteurs malveillants ciblent les équipes du service support via des attaques d’ingénierie sociale. Dans certaines violations, ils ont réussi à persuader les techniciens du ervice support de réinitialiser l’authentification sur des comptes. Cela peut permettre aux cybercriminels de détourner des comptes avec des privilèges et donc de traverser un environnement pour réaliser leurs activités illicites.

Le vol d’identité personnelle et l’atteinte à la réputation

Les deepfakes peuvent également être utilisés pour commettre des vols d'identité et du harcèlement. Les créations médiatiques malveillantes peuvent être d'un réalisme alarmant et peuvent nuire considérablement à la réputation d'une personne ou d'une organisation. Les deepfakes de personnalités, de clients ou d'employés importants peuvent être utilisés pour nuire à la marque ou créer un scandale.

La propagation de la désinformation

Les deepfakes relèvent de la catégorie plus large des médias synthétiques et sont souvent utilisés pour créer des vidéos, des images, des fichiers audio et des textes crédibles et réalistes sur des événements qui n'ont jamais eu lieu. Les reportages falsifiés, par exemple ceux d'une autorité respectée ou d'un présentateur de nouvelles, peuvent exploiter la tendance naturelle des gens à croire ce qu'ils voient et sont très efficaces pour diffuser de la désinformation. Cela peut constituer une menace claire, actuelle et évolutive pour le public dans les domaines de la sécurité nationale, de l'application de la loi, de la finance et de la société.

Mais les entreprises ne sont pas complètement démunies face à l’essor des menaces par deepfake.  Différentes stratégies leur permettent de se protéger contre les menaces modernes basées sur l’identité, telles que les deepfakes. En voici six dont l’efficacité n’est plus à prouver : adopter une stratégie Zero Trust, utiliser soi-même des deepfakes lors de tests de pénétration et d’exercices de formation pour évaluer les vulnérabilités et éduquer les salariés à reconnaître et contrecarrer de telles tactiques de manipulation, mettre en place des authentifications multifacteur (MFA) résistantes au phishing telles que FIDO2, veiller à la gestion des accès privilégiés (PAM), et adopter des technologies et des stratégies modernes, telles que la détection et la réponse aux menaces d’identité (ITDR), qui peuvent détecter de manière intelligente les menaces ou les risques liés à l’identité. 

Le cas du deepfake CFO à Hong Kong sert d'avertissement aux organisations pour qu'elles réévaluent leurs mesures de cybersécurité et leurs processus internes, car de plus en plus de ces types d'attaques modernes sont à venir. Il met en lumière les vulnérabilités émergentes auxquelles nous serons confrontés. Dans ce contexte de menaces, il est devenu primordial de se concentrer sur le zero trust et la sécurité des identités pour parer aux nouvelles attaques qui utilisent des techniques sophistiquées pour manipuler et exploiter les informations personnelles.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Comment les machines succombent à la chaleur, des voitures aux ordinateurs

  La chaleur extrême peut affecter le fonctionnement des machines, et le fait que de nombreuses machines dégagent de la chaleur n’arrange pas les choses. Afif Ramdhasuma/Unsplash , CC BY-SA Par  Srinivas Garimella , Georgia Institute of Technology et Matthew T. Hughes , Massachusetts Institute of Technology (MIT) Les humains ne sont pas les seuls à devoir rester au frais, en cette fin d’été marquée par les records de chaleur . De nombreuses machines, allant des téléphones portables aux voitures et avions, en passant par les serveurs et ordinateurs des data center , perdent ainsi en efficacité et se dégradent plus rapidement en cas de chaleur extrême . Les machines génèrent de plus leur propre chaleur, ce qui augmente encore la température ambiante autour d’elles. Nous sommes chercheurs en ingénierie et nous étudions comment les dispositifs mécaniques, électriques et électroniques sont affectés par la chaleur, et s’il est possible de r

De quoi l’inclusion numérique est-elle le nom ?

Les professionnels de l'inclusion numérique ont pour leitmotiv la transmission de savoirs, de savoir-faire et de compétences en lien avec la culture numérique. Pexels , CC BY-NC Par  Matthieu Demory , Aix-Marseille Université (AMU) Dans le cadre du Conseil National de la Refondation , le gouvernement français a proposé au printemps 2023 une feuille de route pour l’inclusion numérique intitulée « France Numérique Ensemble » . Ce programme, structuré autour de 15 engagements se veut opérationnel jusqu’en 2027. Il conduit les acteurs de terrain de l’inclusion numérique, notamment les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (les structures intermédiaires ayant pour objectif la mise en relation de l’État avec les structures locales), à se rapprocher des préfectures, des conseils départementaux et régionaux, afin de mettre en place des feuilles de route territoriales. Ces documents permettront d’organiser une gouvernance locale et dé

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl

L’Europe veut s’armer contre la cybercriminalité avec le Cyber Resilience Act

  Par  Patricia Mouy , Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Sébastien Bardin , Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) Assez des cyberattaques  ? La loi sur la cyberrésilience, ou Cyber Resilience Act a été adoptée par les députés européens le 12 mars dernier et arrive en application dans les mois à venir, avec l’ambition de changer la donne en termes de sécurité des systèmes numériques en Europe. Alors que les systèmes numériques sont littéralement au cœur des sociétés modernes, leurs potentielles faiblesses face aux attaques informatiques deviennent des sources de risques majeurs – vol de données privées, espionnage entre états ou encore guerre économique. Citons par exemple le cas de Mirai , attaque à grande échelle en 2016, utilisant le détournement de dispositifs grand public comme des caméras connectées pour surcharger des domaines Internet d’entreprise, attaque de type DDoS (déni de service distribué)

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean Phillips. En